Les bons coups de com de Marc Dorcel

Par Xuoan D. et Sarah G. le 11/02/2016

Temps de lecture : 9 min

Comme chaque mois dans parole d’annonceur, un annonceur est invité à dévoiler les secrets d’une campagne, de sa communication ainsi que sa vision de la marque.

Alors que la crise de la production de films pour adultes sévit, Marc Dorcel est en pleine forme : la marque ne cesse d’être présente dans les médias, pourtant qualifiés de plus puritains qu’autrefois. Son community management réchauffe avec brio l’actu. Et que dire de ses coups de com tels que #SansLesMains de l’agence Marcel ? Ils s’avèrent aussi efficaces pour les affaires que primés en festival (2 Gold et un Silver à Cannes, tout de même). Pourtant, Marc Dorcel est un annonceur très économe. Pour en savoir plus sur les clés de ce succès, nous avons aujourd’hui rendez-vous avec Ghislain Faribeault, vice président média… et community manager.

Comment une marque phare du porno réussit-elle à communiquer sur des supports traditionnels ?

Avant, les actrices signaient des contrats d’exclusivité avec Dorcel et étaient invitées sur les plateaux TV pour faire la promotion d’un film au même titre que n’importe qu’elle autre actrice. Mais maintenant, le société est devenue puritaine. Playboy a notamment dû arrêter ses fameuses playmates. Les réseaux sociaux censurent énormément et imposent leur morale. Il est donc devenu difficile de communiquer autour des contenus.

Il nous a donc fallu trouver d’autres axes de communication et de fidélisation tel que notre service client irréprochable par exemple. Nous communiquons aussi beaucoup via l’innovation avec des opérations de crowdfunding, les films 3D ou la réalité virtuelle. Nous mettons également en place des contenus spécifiques autour de nos produits à grand budget, ou lors de collaborations avec des personnalités connues comme Laly de la 1ère saison de Secret Story. Sur les réseaux sociaux, nous sommes adeptes du news hacking, ce qui nous permet de détourner l’actualité, de la pimenter et d’interagir avec notre communauté. L’humour est aussi un très bon moyen de communiquer et d’avoir de la visibilité, notre campagne “#SansLesMains” conçue avec l’agence Marcel le prouve.

Mais nous sommes souvent victimes d’usurpation sur les réseaux sociaux. Le paradoxe est qu’il nous est déjà arrivé d’être bloqué alors que les usurpateurs, eux, sont laissés actifs.. Nous avons réussi à être certifiés sur Facebook et Twitter, nous sommes la seule marque X au monde à l’être.

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Quelle est la stratégie de communication de Dorcel pour faire face au streaming gratuit ?

Le mythe du gratuit n’existe pas. Il s’agit de piratage. Comme le dit l’adage : ”si c’est gratuit, c’est vous le produit”. Ces sites qui distribuent du contenu X gratuitement ne respectent ni contrôle parental ni le droit d’auteur. Ces sites sont hébergés dans des paradis fiscaux qui ne subissent pas les même taxations que nous. En France, 10% de notre chiffre d’affaires des ventes de nos vidéos va au CNC (qui ne nous aide pas) contrairement aux producteurs de contenus “traditionnels” qui ne sont taxés qu’à 2%. Pour autant, les médias parlent de ces sites comme des acteurs de droits. Le résultat est que les gens n’associent pas ces sites à du piratage. Les jeunes générations ne connaissent plus les studios mais uniquement le nom de ces sites pirates.

Face à cette crise, Dorcel a besoin d’avoir une marque la plus forte possible. Chaque année des maisons de production de contenus pour adultes ferment. Auparavant, il y avait une quinzaine de producteurs en France. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 3 sur le marché avec HPG et Jacquie & Michel. Bien que la consommation de contenus ne soit pas en crise, la vente a subi une énorme baisse, comme dans l’industrie du cinéma classique. Les gens n’ont plus l’habitude de payer pour du contenu. Pour contrer ce phénomène, Dorcel diversifie sa marque dans tout l’univers du plaisir : vidéos, sextoys, aphrodisiaques, presse… Le but étant d’apporter une réelle plus-value à la marque, en faisant vivre des expériences à notre public.

Campagne #SoyezBrillant par Mademoiselle Scarlett

 

Quels autres enjeux et problématiques de communication rencontrez-vous ?

En dehors du piratage, le puritanisme. Nous vivons un retour en arrière par rapport à il y 10 ou 15 ans. Paradoxalement, les gens ont beaucoup moins de tabous dans la sphère privée. L’utilisation de sextoys ou le visionnage de films pornographiques est aujourd’hui accepté et fait parti de la sexualité des français. Pour autant, le sexe et le plaisir sont devenus tabous dans la sphère publique. Avant, il n’était pas rare de voir des playmates sur TF1 à 19h50 chez Collaro, ou des stripteases masculins chez Dechavanne en plein après-midi sur France 2. Aujourd’hui, des associations (ne représentant pas la majorité des français) feraient un scandale.

Désormais, on doit tout cacher. Il règne une moralisation ambiante. Même l’art est touché. “L’origine du monde” de Courbet se retrouve automatiquement censuré sur Facebook. L’éducation sexuelle des plus jeunes n’est plus assurée par l’école ou les parents. Par conséquent, les jeunes connaissent leur premier aperçu de la sexualité avec la pornographie. Or le porno, c’est du cinéma. On n’apprend pas à conduire en regardant Fast & Furious. Le porno devient le bouc-émissaire. Au lieu de s’attaquer à la cause, on s’attaque à la conséquence.

 

Comment et sur quels supports communiquez-vous ?

Nous ne communiquons quasiment que sur internet aujourd’hui. La puissance de la marque fait que les médias viennent nous voir d’eux-mêmes. Dorcel est une marque forte et respectée. Nos campagnes social media sont piquantes, drôles et déculpabilisantes. Notre objectif est que les contenus de nos communications soit partageables… et partagés.

 

Vous avez déclaré communiquer avec 0 budget… comment y parvenez-vous ?

Nous comptons uniquement sur la viralité de nos produits, services et contenus. Pour la campagne “#SansLesMains”, nous n’avons pas acheté un seul espace média ni un seul tweet sponsorisé. Le hashtag est tout de même resté 7h en Trending Topic sur Twitter, de façon totalement naturelle. Quand on lance des opérations en réalité virtuelle, les médias high-tech ou féminin s’emparent du sujet. Dorcel est une marque qui attire car elle est provocatrice tout en restant élégante.

Nous avons aussi notre propre magazine qui est numéro 1 des ventes en France bien que la presse spécialisée soit en crise. Nous n’annonçons pas sur d’autres magazines, nous avons préféré créer notre propre média.

 

Comment est organisée votre communication en interne, et en particulier le digital ?

Je gère moi-même le compte Twitter à 100%. Il s’agit du réseau idéal pour faire de la veille. Je ne peux l’alimenter H24, et c’est une très bonne chose : autant laisser vivre la marque seule sur ce réseau social par moment. Cette proximité permet d’avoir un côté plus humain et d’avoir un retour direct de nos clients. Il m’arrive par exemple de répondre à des tweets tard le soir ou le week-end.

Nous aurions du mal à transmettre le community management à une agence qui ne connaît pas aussi finement l’ADN de la marque et ses valeurs. L’agence risquerait de confier cette tâche à un stagiaire ou à un créatif un peu trop enthousiaste. La pornographie est un sujet parfois glissant, et nous tenons à garder ce ton qui nous différencie. Il y a beaucoup de sujets sur lesquels Dorcel ne s’aventurera jamais : la religion, la politique et les affaires judiciaires. Nous ne sommes pas prêts à tout pour le buzz. Le bad buzz est vite arrivé, même si à ce jour nous n’avons pas à nous plaindre. Je fais très attention, et si j’ai un doute, je consulte d’autres personnes de l’entreprise. Dorcel, est une entreprise familiale qui a la chance de fonctionner en circuit court.

 

Qu’attendez-vous d’une collaboration avec une agence ?

Nous sommes énormément sollicités par les agences car notre marque plaît. Mais nous n’avons pas de budget communication défini car cela ne serait pas cohérent avec notre modèle économique. D’autant que nous avons nos propres idées et savons les réaliser en interne. Nous sommes donc un annonceur peu intéressant en terme d’honoraires pour les agences…

Nous travaillons uniquement avec les agences proactives, qui nous proposent des idées innovantes et spontanées. C’est ainsi que nous avons pu travailler avec Marcel, Rosbeef! ou Mademoiselle Scarlett. Il n’y a pas de répartition de budget défini entre elles, c’est en fonction des opportunités et projets proposés. Nous ne les briefons pas en amont.

Dorcel est une startup opportuniste qui existe depuis 37 ans. Nous travaillons sans roadmap, nous n’avons pas la tête dans le futur mais bien la tête dans le guidon, ce qui nous donnes plus de liberté dans nos réactions et plus de souplesse dans nos décisions.

 

Comment s’est passée votre rencontre avec Marcel ?

L’agence nous suivait sur Twitter. J’avais relayé avec le compte @Dorcel l’opération “Youpomme” (Oasis) et cela a beaucoup amusé l’agence. De là sont nés divers échanges, puis une rencontre. Nous avons dû leur pitcher l’absence de pitch, ce qui leur a ouvert un beau champs des possibles. L’idée de la campagne “#SansLesMains” est vite arrivée, et nous l’avons développée ensemble. Ce fut une très belle collaboration, un beau cas d’école avec à la clé 120 articles parus dans les médias (presse, web et TV), 27 fois plus de trafic sur le site et 50 fois plus de nouveaux abonnés sur une journée, ainsi que 2 Gold et 1 Silver aux Cannes Lions.

Marcel recherche en permanence à dépasser les limites de la communication traditionnelle, ce qui ne peut que nous plaire.

 

Y a-t-il une politique d’innovation chez Marc Dorcel ?

L’innovation fait partie des valeurs de l’entreprise. La société a été créée par Marc en 1979. Nous avons été les premiers de l’histoire à tourner un film pornographique directement en vidéo. Les premiers à vendre au format DVD multi-lingue et plus récemment les premiers à réaliser un film grâce au crowdfunding ou à utiliser la réalité virtuelle. Nous surveillons de très peu les dernières innovations technologiques.

Il faut sans cesse nous adapter pour faire vivre de nouvelles expériences aux consommateurs : la réalité virtuelle impose une nouvelle écriture du film pornographique. Autre tendance : les objets connectés. Ceux-ci ne se vendent pas aujourd’hui dans le sexe car leur prix est encore trop cher. Mais si dans le futur, nous mélangerons les objets connectés avec la réalité virtuelle, cela permettrait de stimuler des sens différents, et de procurer de nouvelles expériences. La technologie hologramme nous intéresse aussi beaucoup : l’expérience se vit autour de vous, dans votre salon ou votre chambre. Tant de possibilités à venir !

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Et pour finir, un conseil pour que la relation agence – annonceur soit une réussite ?

Il faut que la marque se connaisse parfaitement. Qu’elle ne soit pas déconnectée de ses consommateurs. Chez nous, Twitter est notre contact direct avec nos clients, nous avons un important feedback qui permet de nous améliorer sans cesse. Donc si l’annonceur connaît sa marque, il pourra facilement “driver” son agence, et le résultat n’en sera que meilleur.
Mon deuxième conseil serait d’être réactif. Si les projets durent trop dans le temps, ils sont moins bons car il y aura moins d’excitation à le réaliser. Plus un projet est long, plus nous le complexifions. Et chez Dorcel, nous adorons faire simple. Un peu comme Twitter et ses 140 caractères…

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