Les 6 points clés du renouveau des agences américaines

Par Xuoan D. le 15/10/2015

Temps de lecture : 9 min

Direction New-York pour s’inspirer du 1er marché publicitaire au monde !

Fabrice Valmier – directeur associé de Groupe VTscan (cabinet leader en management pour les métiers du marketing et de la communication) – vient de passer une semaine entre Madison Avenue et Brooklyn au contact de 24 agences et d’autres consultants en sélection d’agences*. Un tel séjour est révélateur de mutations en cours et à venir du marché… que nous vous proposons d’anticiper aujourd’hui !

1. Reinventer la collaboration agence-annonceur

Fabrice Valmier résume la situation qui prévaut à New York comme partout ailleurs : « les clients en veulent plus, pour moins cher ». Entre la fragmentation des budgets (les annonceurs font appel à 2 fois plus d’agences qu’il y a 10 ans), la montée des agences internes chez les annonceurs et la désintermédiation des nouveaux entrants (GAFA & co), il n’a jamais été aussi complexe pour les agences de communication de générer de la valeur.

Plutôt que de partir coûte que coûte à la recherche de cette valeur perdue, les agences new-yorkaises imaginent de nouvelles façons de collaborer avec les annonceurs. Fabrice Valmier a rencontré Work & Co, une agence qui est passée de 45 à 98 personnes en un an. “Leur approche ? One team : Client + Work & Co. Y compris si cela passe par le renforcement de l’agence auprès de l’in-house du client.” L’agence Big Spaceship, elle aussi en pleine croissance, “n’hésite pas à s’immerger dans les locaux de ses clients pour collaborer pendant plusieurs semaines ou mois” que ce soit avec l’équipe marketing ou directement avec l’agence in-house. On reconnaît là le pragmatisme anglo-saxon : plutôt que de lutter contre les agences internes potentiellement prédatrices de valeur, mieux vaut se rapprocher de ces « frenemies » ! Nous y reviendrons.

Au delà de la collaboration avec l’in-house des annonceurs, les agences new-yorkaises savent de mieux en mieux répondre aux attentes des startups. Et il était temps ! Ce sont les futurs géants de demain, voire d’aujourd’hui. Elles peuvent être responsables de désintermédiation importantes pour les agences et leurs annonceurs historiques. Pourquoi avoir autant attendu ? Car comme l’explique Fabrice Valmier, “la culture des startups est très différente. Elles n’attendent pas des présentations d’agences, elles parlent autrement et vont directement au cœur du sujet. Ces structures n’attendent pas des campagnes mais des mouvements pour faire bouger les comportements. Elles ont un autre modèle de rémunération des agences, lié à leurs propres KPIs. Seule la performance compte pour ces structures qui pensent ‘product first’ et sont ‘metrics driven’”.

2. Faire de ses ennemis des amis

Si l’hégémonie des GAFA est plus qu’imparfaite, notamment d’un point de vue fiscal et concurrentiel, on retrouve là aussi beaucoup de pragmatisme dans les partenariats mis en place avec ces « frenemies » par les agences new-yorkaises. Ce qui n’étonne guère Fabrice Valmier puisque “les agences ont très bien su se rapprocher des médias dits traditionnels. Or il devient prioritaire de procéder de façon analogue avec les GAFA mais aussi Twitter, Snapchat et tout nouvel entrant majeur. A la clé : des partenariats, des deals financiers et des tests exclusifs. Le tout au profit des clients des agences !”

Ces partenariats sont également essentiels pour les GAFA, car comme le résume le co-dirigeant de Groupe VTscan : “les agences sont cruciales pour ces acteurs, car capables d’évangéliser de nouvelles solutions aux annonceurs avec qui elles sont en contact permanent.” De plus, “les GAFA ont une culture omniprésente des tests, ce qui bénéficie à l’ADN des agences tout en renforçant leur expertise”. Ce qui est plus qu’opportun car il est très complexe pour un annonceur d’être constamment au fait des dernières évolutions des GAFA.

Un exemple ? L’agence Possible qui a fait la démonstration à Fabrice Valmier “des avantages dont ses clients – et prospects ! – bénéficient grâce à la ‘certification partenaire Amazon’ de l’agence. Désormais, comment ne pas penser à cette agence lors d’une problématique e-commerce ?”

Au delà des nouveaux acteurs en vue, les agences new-yorkaises “capitalisent sur des partenaires technologiques forts comme Adobe, IBM, Oracle. Pour mieux travailler avec eux, et surtout pour développer des partenariats exclusifs qui leur donneront une supériorité sur leur marché.”

3. Équilibrer le rationnel et l’émotionnel

Un des signes de gain de maturité du marché : “la bataille entre les agences émotionnelles et les agences rationnelles s’équilibre” selon Fabrice Valmier. “Si on oppose traditionnellement les campagnes prédictives et les campagnes qui stimulent pour donner de l’intensité dans la relation aux marques, nous observons un point de convergence. Toutes les agences s’efforcent désormais d’être ‘strong’ sur les process, inspirées sur les histoires !”

Les “agences de création” se mettent à la data, comme nous l’avons observé avec le virage Creative Data pris par Ogilvy Paris sous l’impulsion de Baptiste Clinet. À New-York, BBDO a mis à profit un partenariat avec Youtube (cf point précédent) pour son client Pedigree. Au programme : un A/B testing généralisé d’une campagne vidéo “avec différentes copies testées directement sur Youtube en 48h sur un échantillon fermé, pour des coûts proches de zéro grâce au partenariat. Ce qui a permis de vérifier la copie gagnante : la plus émotionnelle et au potentiel élevé de conversion vers l’achat.”

Mais surtout, Fabrice Valmier a constaté à New-York la montée en puissance des agences issues de la performance comme iCrossing ou iProspect “désormais consultées pour de la Considération et sur le Social, bien au-delà d’un bon référencement SEO ou d’actions SEM.” En attendant le branding ?

Un exemple qui souligne la nouvelle génération de responsive design croisé aux datas : “Toyota a connu une refonte de son site en 2015 par iCrossing, avec une adaptation du site responsif et des contenus selon le profil de l’internaute. Toyota.com n’est désormais plus un site global mais un site dédié à chaque internaute. De quoi proposer une expérience différente à chacun… pour mieux renforcer la conversion.”

4. Face à l’adblocking, muscler ses contenus

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L’Adblocking en couverture d’AdAge

30% du marché de l’achat d’espace est actuellement en compétition, répondant aux secousses sismiques du programmatique et de l’adblocking. La vision des annonceurs évolue également, comme le souligne Jack Myers du haut de ses 30 années d’expertise de l’achat média américain : “50% de mes dépenses marketing ne servent à rien, mais je ne sais pas lesquelles. Nous avons tous en tête cette célèbre phrase de John Wanamaker. Et pourtant, elle fait partie du passé. Aujourd’hui on sait.”

Voilà pour le contexte média. Intéressons-nous maintenant à l’adblocking. Face à son intenable percée, décuplée par le soutien récent d’Apple sur iPhone et iPad, le co-dirigeant de Groupe VTscan identifie 3 pistes qui se confirment sur le sol de Madison Avenue :

  • Le branded content
  • La conception stratégique et créative d’apps mobiles, et plus généralement de produits
  • Le renfort de l’UX

Ce qui signe le retour en force des agences et de l’earned media. En attendant la généralisation d’une solution technique anti adblock comme ce que peut proposer la startup franco new-yorkaise Secret Media, qui a signé un partenariat avec le leader JWplayer pour assurer la diffusion des publicités vidéos.

Déjà identifiée l’année dernière, l’approche broadcast du branded content new-yorkais se confirme. Une mutation qui s’organise autour de 4 piliers selon Fabrice Valmier :

  1. La création de studios de fast prototyping pour tester très rapidement différentes rédactions, vidéos
  2. L’intégration des datas dans la phase de création (voir plus haut)
  3. Les partenariats avec les influenceurs pour être certain de ne pas rater la prochaine génération de créatifs sachant mobiliser des audiences massives
  4. Un pré-requis “mobile first”, ou plus important “user experience first”

Avec le mobile, les agences américaines se positionnent comme des app builders, avec en ligne de mire le graal : “devenir le standard d’un geste effectué en 2 secondes, comme la commande d’une voiture Uber” selon Fabrice Valmier. Pour cela, les agences mettent en place de véritables cultures de prototypage, comme Work & co qui “préfère montrer à ses clients et prospects des betas de services fonctionnels plutôt que des présentations d’agence”.

Plus généralement, les agences new-yorkaises s’orientent vers le design produit. Pour Fabrice Valmier, “la communication ne sera demain qu’une partie de leur périmètre d’intervention et de leur réflexion stratégique.”

En témoigne l’exemple de Cheil, dont l’appartenance à Samsung n’est probablement pas étrangère au goût de l’agence pour la conception de “produits digitaux et d’expériences connectées (des e-books via NFC, des objets telle une gourde connectée pour encourager les enfants à boire de l’eau), ce qui permet au passage de récupérer de précieuses datas comme avec une poignée dans les bus pour mesurer les infos santé de chacun.” (ndlr : en espérant que la CNIL ne s’étrangle pas à la découverte de cette innovation !)

5. Valoriser l’engagement

Le leitmotiv “If it can’t be shared, it doesn’t exist” fait désormais partie du décor de toute agence new-yorkaise. La mesure de l’engagement est néanmoins ce qui a le plus évolué en un an selon Fabrice Valmier : “follow the money est désormais un pré-requis, ce qui veut dire traquer les conversions, relier le social media aux ventes via des KPIs compréhensibles et applicables. Pour y parvenir, les annonceurs exigent que les contenus soient systématiquement adaptés à ce que les consommateurs expérimentent à l’instant T. La contextualisation est devenue une obligation. D’autant plus à une époque où le reach d’internautes influents peut dépasser celui des marques”.

Quels sont ces nouveaux KPIs ? Fabrice Valmier relève “les emoji sentiments, les mapping sémantiques, le calcul de l’earned media value ou encore le ranking des influenceurs”.

6. « Startup-iser » la culture des agences

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Chez TBWA Worldwide

Fabrice Valmier a de nouveau constaté l’influence de la Silicon Valley sur les agences new-yorkaises. Le digital étant plus puissant que jamais, les agences s’inspirent des startups, de leur état d’esprit “entrepreneurs, products, metrics” et optent pour un comportement “Always in beta” selon Troy Ruhanen, CEO monde de TBWA.

Naturellement, la si cruciale chasse aux talents prend comme référence les géants de la côté ouest avec des hackatons, des conférences, des “co-labs” ou autres “possible days”. D’autant que la scène startup new-yorkaise est très active, ce qui ne fait que monter les enchères des profils digitaux.

Le marché n’est néanmoins pas à une contradiction près et Fabrice Valmier a été stupéfait que “l’âge moyen était de 40-45 ans dans les agences visitées !” L’agence Work & co revendique clairement des RH visant “peu de gens mais plus de seniors”. Une explication plausible : la révolution digitale ayant démarré plus tôt aux États-Unis, les agences recherchent potentiellement des profils ayant 15-20 ans d’expérience dans le digital, ce qui est envisageable sur ce marché.

Fabrice Valmier met néanmoins en garde les agences face à une trop forte seniorisation des profils digitaux : “Il faut ouvrir la porte aux jeunes, leur permettre d’inspirer nos organisations.

  • Les jeunes ne sont pas « mobile-first ». Ils sont « mobile-always ».
  • Les jeunes ne pensent pas à innover. Ils sont culturellement dans l’innovation.
  • Les jeunes n’ont pas peur, ils ont plein d’idées pour profiter des nouvelles opportunités que propose notre époque. Pourquoi s’en priver ?”

Dernier signe de la transformation profonde des agences new-yorkaises : celles-ci déménagent plus souvent qu’auparavant. “L’accueil de startups se généralise” selon Fabrice Valmier “avec un rôle d’incubateur, qui au delà du conseil et de l’investissement – générateur de revenus pour les agences – prend aujourd’hui de nouvelles formes. C’est notamment le cas de KBS+ qui a créé 2 « Co-Creation Spaces » à Los Angeles et Beijing, disponibles pour les bloggers, youtubers et influenceurs”. Ce changement physique des agences crée de l’énergie, et les clients n’y sont pas insensibles !

Constatez-vous d’autres mutations ?
[email protected] ou

 

Et pour finir, quelques photos des rencontres de Fabrice avec les agences new-yorkaises :


* événement : Adforum Worlwide Summit

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